Winter
Le changement d’heure. La nuit tombant. Le froid. Les mêmes musiques. La même date. Pas la même année. Les années se ressemblent et se détachent. Ces errances à la tombée du jour, dans la forêt militaire, avec les mêmes musiques. Pas les mêmes pensées. Un peu plus d’espoir, un peu plus d’énergie. Aux éléments qui prenaient fin se succédait l’inconnu. La délusion. Des illusions. Les errances dans la forêt militaire à la tombée de la nuit pour fuir quelques heures cet appartement, ses murs bleus violents étouffants, la lumière crue, le petit bureau et l’ordinateur portable qui reliait l’esprit au monde, tandis qu’il vivait reclus dans sa pièce, dans son autre univers, et dans la brume, dans la forêt, lors de ces marches étranges et lyriques, je me croyais à l’aube d’une renaissance, le froid importait peu, le vieux Blue jean, cette humidité perpétuelle de la région, les sentiers déserts, les panneaux amusants, cette voûte d’arbres colorés par l’automne, lieu refuge le soir, lieu d’espoir le matin. Après avoir trouvé l’eau chaude dans la salle de bain carrelée, c’était l’évasion des pensées, les rêveries quotidiennes et la réclusion jusqu’au lendemain, sans dire un mot, parmi les cartons. Il y a un an, j’étais précisément dans une chambre d’hôtel, à rechercher puis signer le bail de ce logement, à tomber amoureuse il faut croire, à détester la Lorraine, lieu refuge, lieu d’attente, à entamer les démarches, à secouer le corps et l’accrocher à ce qui s’offrait, les prémices de l’hiver, la déliaison. Nostalgie. Réminiscences. Les musiques portent le poids des souvenirs. J’ignore quelle est la plus juste réalité, de cette année ou la précédente, curieuse d’avance de connaître la suite, la prochaine, et ce qui s’en grave à présent. Il y aurait tant à faire, tant à construire, tant à donner, tant à vouloir. Et j’ignore, à cet instant, pourquoi mille kilomètres me séparent de cette forêt, tandis que dix mille m’éloignent de lui. Et j’ai barré cette ville sur la carte de France. Désir de remodeler les lieux. Was it a dream ? On ne traverse pas deux fois les mêmes saisons. Mais si les états se ressemblent et tournent, si les années se bouclent enfin, le passé demeure référence. En contemplant ce que je possède, j’ignore si j’ai réussi. En contemplant ce que je suis, je réalise qu’il n’y a qu’une sorte de descente progressive et constante. Toujours les mêmes aspirations. Le même froid. Le même vide. Et les pensées tournent et se bouclent, encore. Il serait peut-être temps de se retirer et sombrer. Seules les musiques restent immuables. Et toutes les images qu’elles transportent, qu’elles conservent jalousement, dans lesquelles on peut puiser un peu, juste un peu, en attendant d’en rajouter d’autres puis de témoigner. La nuit tombant, le changement d’heure, le froid, les mêmes musiques, la même date. Partie remise avec le mieux.
| 21:45 |
Il est sans doute trop tôt pour croire que l’on passera outre ces petites images. Trop tôt pour en formuler la volonté. Pour trouver la capacité. Pour y puiser un soulagement. Trop tôt pour affirmer que l’on poursuit une voie, une décision sans difficulté. Viendra prochainement ce point de non retour. La tentation d’abord, ultime épreuve. Comme ces délicieuses courses autrefois, lorsque le rythme cardiaque augmentant, les muscles tirant, surgissait la pensée apaisante de s’arrêter, d’abandonner, or plus forte encore, se dressait finalement celle de continuer, dépasser ce stade, et dans une forme de douleur, de contrainte, le corps accomplissait les mouvements nécessaires jusqu’à sentir, brusquement, le plaisir de l’effort, le bienfait de la course, cette légèreté qui donne la sensation que l’on saurait poursuivre ce jogging sans plus ralentir, sans plus se retourner, sans plus s’arrêter : courir éternellement dans l’ivresse. Un cap, dit-on. Un cap à passer.
Ce soir, je pressens ce point de non retour, et les difficultés à le franchir, en ce que, ce soir, j’ai la tentation, un instant, de me retourner, de revenir en arrière, d’accepter toutes les concessions, de ployer sous les conditions, d’effacer les injures pour croire que tout a encore la possibilité de redevenir « comme avant ». Ah, le délicieux et salvateur « comme avant », celui qui provoque une pensée nostalgique de bien-être, comme on se souvient d’un confortable intérieur tout éclairé, théâtre de beaux moments, alors qu’on grelotte à présent dans le froid. Et combien de fois ? Combien de fois ai-je « payé volontiers » pour ces moments de chaleur, ces moments de bonheur ?
Ces petites images me caressent sournoisement, ce soir. Et il suffirait qu’il m’appelle, maintenant, pour que je décroche, et il suffirait que j’entende sa voix, maintenant, pour que je pardonne, et il suffirait qu’il dise les bons mots, à cet instant, pour que je revienne. Je prie pour qu’il ne le fasse pas. « Il faut continuer ».
(Dimanche 31 octobre 2010)